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Accession à la propriété des ménages à revenus irréguliers ou instables

ANIL (avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat), extrait d' Habitat Actualité n° 96, janvier 2006


En 2004, l'ANIL avait consacré les débats de son assemblée générale à ce thème. En 2005, un groupe de travail du Conseil national de l'habitat présidé par Eric Comparat, de l'UNAF, s'est penché sur " l'accession à la propriété des ménages à revenus irréguliers ou instables ". L'ANIL avec l'ADIL de Seine-et-Marne a été chargée de proposer un programme de travail, lequel a été accepté par le président du CNH, Michel Piron, et a pris en charge la réalisation du rapport. Celui-ci a été remis au Ministre au moment où le contrat " nouvelle embauche " laisse entrevoir un accroissement du nombre de ménages dont l'accès au crédit sera compliqué par la difficulté qu'ils auront à justifier auprès des établissements prêteurs de la stabilité de leurs revenus à moyen terme.

Le programme de travail de la commission

Dans tous les pays les prêteurs apprécient la stabilité chez leurs clients et en France peut-être plus qu'ailleurs. Obtenir un crédit y est spécialement difficile pour ceux qui s'écartent du modèle majoritaire, celui du salarié en contrat à durée indéterminée. Il s'agit ici de personnes disposant de revenus mal stabilisés. Ils se heurtent aux mêmes obstacles que les personnes non assurables, que ce soit en raison de leur âge ou de leur état de santé. Le banquier justifie souvent sa position en se déclarant soucieux de contracter avec des emprunteurs capables de faire face à chacune de leurs échéances et de rembourser leurs prêts régulièrement, surtout s'il gère aussi le compte du ménage. Dès lors, la garantie offerte n'apparaît que comme un critère secondaire. Plus surprenant est de constater que celui qui dispose d'un apport personnel conséquent affrontera le même refus, alors que la valeur du gage est largement supérieure au montant de l'emprunt. Les prêteurs français souhaitent des emprunteurs " stabilisés en terme d'emploi ". Cela provient de leur attitude de prêteurs à la personne, qui accordent plus d'importance à l'examen de la capacité de remboursement de l'emprunteur qu'à l'évaluation du bien immobilier, mais aussi de l'inadéquation des procédures d'acceptation standardisées à ce type de demande. Il ne semble pas, en effet, y avoir de corrélation établie entre la régularité des revenus et celle des paiements. Plus que le risque, le coût du traitement des demandes qui ne rentrent pas dans le modèle majoritaire rebute les établissements de crédit. En outre, il apparaît clairement qu'en France, la mise en œuvre des garanties hypothécaires, avec sa procédure lourde et solennelle, stigmatise presque autant le créancier (la banque) qui la met en œuvre, que le débiteur auquel elle s'applique. Dès lors l'échec de l'emprunteur à mener à bien son opération est aussi, au moins en partie, celui du prêteur, soupçonné d'avoir mal évalué les capacités de remboursement de son client.
Cette attitude n'était pas trop dommageable dans un pays où le taux de mobilité géographique était inférieur de moitié à ce qu'il était chez les anglo-saxons et où les parcours professionnels étaient assez prévisibles. Mais les choses sont en train de changer, l'instabilité des parcours professionnels et l'irrégularité des ressources viennent s'ajouter à la plus grande fragilité des structures familiales. Peut-on faire évoluer les façons de faire ou mettre en place des nouveaux dispositifs destinés à ceux qui ne répondent pas aux critères habituels d'instruction des demandes de prêt ?

Identifier précisément le problème

L'accession à la propriété est le processus qui permet d'acquérir progressivement la propriété de son logement en ayant recours à un crédit à long terme garanti par ce même logement. C'est donc l'existence d'une offre de crédit tournée vers les ménages qui a permis l'essor de l'accession à la propriété. Dans les pays industrialisés, ce crédit a d'abord été destiné aux ménages aisés avant de s'élargir, dès lors que les outils en ont été parfaitement rodés, à une frange plus large de la population. Le développement de l'accession a accompagné celui du salariat. Les revenus des salariés sont, en effet, à la fois relativement prévisibles et d'un contrôle aisé. C'est au prêteur qu'il incombe d'apprécier la recevabilité des demandes de crédit et donc le risque qu'il est prêt à supporter et à faire supporter au ménage qui souhaite accéder.
Le groupe a jugé qu'il existait un consensus en France pour privilégier la sécurité des opérations : alors que dans certains pays les associations luttent pour le droit au crédit, en France elles sont avant tout soucieuses de prévenir le surendettement. En outre, l'augmentation du pourcentage de propriétaires ne constitue pas un objectif de politique publique, la doctrine française étant celle du libre choix du statut d'occupation. Il convient cependant de donner la possibilité à ceux qui le souhaitent d'avoir accès au crédit, sans pour autant les encourager à prendre des risques inconsidérés. Il reste que les débats ont montré qu'il est toujours difficile de faire la part entre revenus irréguliers et revenus précaires ; c'est à la situation des ménages disposant de revenus irréguliers que s'est attaché ce groupe.

Une appréciation difficile des revenus irréguliers

Les prêteurs disposent d'une technique bien rôdée dès lors que les candidats répondent à un " modèle standard " : revenus, salariaux ou autres, stables et si possible durables (titulaires d'un CDI). Mais cette standardisation de l'étude des dossiers se révèle inadaptée sitôt que l'on sort du modèle. Certains, qui ne comptent pas nécessairement parmi les plus modestes, ont difficilement accès au crédit en raison de l'irrégularité de leurs revenus et de l'imprévisibilité du maintien de leur niveau, alors même que ce niveau, au jour de l'accession, autorise l'investissement projeté et que le réalisme du projet ne semble pas devoir être mis en cause. Il s'agit pour l'essentiel de personnes disposant de revenus dont l'irrégularité s'explique de différentes façons : CDD, intérimaires, intermittents, commerçants, artisans, professions libérales, agriculteurs, personnels non fonctionnaires de l'Etat ou des collectivités décentralisées, etc. Il s'agit de ménages dont la demande s'avère malaisée à instruire parce que les revenus et leur régularité raisonnablement prévisible sont difficiles à cerner.
L'étude de leur dossier est plus longue, donc plus coûteuse, et l'appréciation du risque se révèle plus délicate. Ceci est d'autant plus pénalisant que les prêteurs français, et c'est une spécificité nationale, examinent avant tout la solvabilité de leur client plutôt que la valeur du gage. C'est ce qui explique qu'ils n'exigent pas, en général, d'expertises préalables du bien à financer, à la différence de ce qui se fait dans la plupart des pays.
Une autre conséquence de cette pratique est la place prise par la caution aux dépens de l'hypothèque. Ce phénomène a également pour effet d'exclure du crédit ceux qui ne peuvent obtenir une assurance décès-invalidité. Il est ainsi paradoxal que la convention " Belorgey ", pour traiter l'accès au crédit des personnes présentant des risques aggravés, aborde la question par le biais de l'accès à l'assurance alors qu'il s'agit par définition de personnes non assurables et qu'une approche hypothécaire serait logique.
D'autres phénomènes viennent contrarier l'accès au crédit de tous ceux qui s'écartent du modèle majoritaire.

Des conditions égalitaires d'accès au crédit

La réglementation actuelle du taux de l'usure, fixée en pourcentage des taux moyens, aboutit à ce que les conditions proposées à un emprunteur présentant un dossier risqué ou dont l'instruction s'avère coûteuse sont très peu différentes de celles proposées aux meilleurs clients pour des dossiers sans risque. Il n'existe pas en France de " subprime lenders ". Cette situation n'est qu'apparemment satisfaisante, car elle a pour conséquence d'exclure du crédit des personnes auxquelles il serait possible de prêter, mais à des conditions plus onéreuses.

Le risque de réputation pour l'organisme prêteur

Près des ¾ des crédits au logement sont accordés par des banques généralistes. Le prêt au logement est pour eux un instrument de fidélisation des clients ; pour des agences qui prêtent à leur voisinage, les mesures à prendre en cas d'échec sont d'une mise en œuvre particulièrement délicate. Le risque de réputation l'emporte sur le risque strictement financier ; les banques universelles y sont encore plus attentives. De surcroît, dans le climat d'euphorie immobilière qui prévaut actuellement, les banques sont peu incitées à faire des efforts considérables pour développer leur activité vers des clientèles encore marginales.

L'attitude des juges

En cas de difficulté lors du déroulement du prêt, les établissements prêteurs évoquent le risque de mise en cause directe de leur responsabilité par les juges. Ces derniers sont enclins à mettre en avant l'imprudence du prêteur lors de l'instruction du dossier en se référant à des " normes " qui ne sont, en réalité, jamais précisément définies et qui sont fondées sur une approche traditionnelle des dossiers, donc inadaptée à une clientèle n'entrant pas dans le cadre standard. De surcroît, les tribunaux considèrent que le prêteur est responsable s'il engage l'emprunteur au-delà de sa capacité de remboursement, cette capacité semblant être appréciée au seul regard des revenus durables de l'emprunteur ou, le cas échéant, de l'assurance décès-invalidité susceptible d'être mise en jeu ; les établissements prêteurs en tirent les conséquences.

Une population dont l'effectif s'accroît

Une difficulté provient, comme on l'a vu, de ce qu'il est difficile de faire la différence entre revenus irréguliers et revenus précaires. Le groupe s'est attaché à mieux cerner les catégories concernées. Des éléments très intéressants ont été fournis par le FASTT, Fonds d'action sociale du travail temporaire et la Fédération française du bâtiment. Ils n'autorisent pas un dénombrement précis des effectifs, mais l'accord existe sur le fait que ceux-ci vont s'accroissant. Dans la recherche de solutions, le groupe a pensé que le plus important était de dégager de nouvelles approches du crédit sans s'attacher aux seules solutions susceptibles de concerner immédiatement des effectifs considérables.
Les solutions esquissées pourront au demeurant répondre à d'autres situations, notamment celles des personnes qui n'ont pas accès au crédit parce que non assurables, n'étant ni assez jeunes, ni en assez bonne santé pour souscrire une assurance décès-invalidité.
Le groupe a également insisté pour que ne soit jamais laissé de côté le souci de prévenir le surendettement.

Les voies de recherche

Une première approche, strictement hypothécaire, a été envisagée. Il s'agirait d'encourager les prêteurs à une approche plus hypothécaire du crédit, à l'image de ce qui se fait dans la plupart des pays. Cela suppose la mise en œuvre de certaines des mesures proposées dans le rapport sur l'hypothèque et le crédit hypothécaire. Les notaires semblent eux-mêmes sceptiques, du moins à court terme. C'est cependant une piste qu'il ne faut pas abandonner et qui pourrait permettre de valider un prêt consenti à une personne ayant la capacité à rembourser sur ses revenus et, en cas d'accident de la vie, par la vente du bien hypothéqué en garantie.
Le système mis en œuvre par le FASTT avec CNP-caution et le Crédit immobilier de France semble particulièrement intéressant. Il concerne une population dont la clientèle est parfaitement délimitée : les salariés intérimaires. Le surcoût correspondant au risque est pris en charge par un régime paritaire, celui du Fastt.
La question se pose de savoir si une telle logique ne pourrait être étendue à l'ensemble des salariés, le rôle du Fastt étant joué par une autre instance. Certains membres du groupe ont pensé que comme pour la GRL (Garantie du Risque Locatif), où l'on a su faire évoluer le système du Loca-Pass en agrégeant d'autres financeurs (Etat, bailleurs…), un dispositif identique à celui initié par le FASTT, pourrait s'appuyer sur une démarche similaire pour amener d'autres contributeurs éventuels (Etat, 1 %, autres …) à mettre au point une garantie du risque lié à l'accession destinée à tous les ménages à revenus irréguliers. Cette démarche n'a pas été approfondie par le groupe.
Une dernière approche repose sur la solidarité nationale et l'usage du Fonds de Garantie de l'Accession Sociale, dont le rôle est précisément de garantir l'accès au crédit de l'ensemble des ménages.
C'est la proposition faite par le Crédit foncier de France qui suggère, à cet effet, de modifier certains des paramè-tres d'intervention du FGAS.
Le Crédit immobilier de France a des propositions qui vont dans le même sens, mais estime qu'une validation législative est nécessaire pour éviter que la jurisprudence ne vienne pénaliser, en cas de sinistre, les prêteurs qui seraient allés dans le sens préconisé par les pouvoirs publics.
Une solution pourrait être trouvée par le biais de la création d'un contrat de prêt nommé assorti d'une garantie spécifique du FGAS contre les accidents de la vie, le Prêt d'Accession Sécurisée, avec mesures d'accompagnement du relogement en cas de nécessité de vendre le logement pour rembourser le crédit. Cette proposition élaborée avant la suppression du FGAS reste transposable au nouveau dispositif de garantie des PAS.
De l'avis des membres du groupe, il convient de mettre à la disposition des acteurs une palette de solutions. Leur expérimentation, seule, permettra de dégager les voies les plus prometteuses.

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